De quoi les lycées Averroès et Stanislas sont-ils le nom ? ou Comment la domination de classe se joue au sein des établissements privés sous contrat

vendredi 26 janvier 2024


Deux établissements privés sous contrat avec l’État sont à la une en ce début d’année.

Les deux sont mis en cause principalement pour être en contradiction avec les valeurs de la République. Le combat médiatique « Stanislas versus Averroès » semble porter la difficile et délicate question du respect du contrat d’association entre l’État et certains établissements privés sous contrat.

L’un, catholique, se situe dans le VIe arrondissement de Paris. En 2022, son indice de position(1) (IPS) est de 146,5 pour le collège et de 147,1 pour le lycée.
Selon un article publié dans le Monde le 18 janvier 2023, « en 2021, le lycée Stanislas a […] le même IPS très élevé qu’Henri IV, mais un public deux fois moins hétérogène socialement, et un taux de boursiers 13,5 fois inférieur ». De plus, le lycée profite également d’une meilleure dotation horaire par élève. En 2021, le rapport H/E (dotation horaire de l’établissement / élève) pour les lycées généraux publics parisiens était de 1,1 en moyenne lorsque dans le privé, le rapport H/E des lycées privés parisiens est en moyenne à 1,27. « Plus il est élevé, plus l’encadrement des élèves et les conditions d’enseignement sont favorables », précise Le Monde, qui n’a pu consulter que les données des établissements de Paris. De plus, comme l’ensemble de l’enseignement privé, le lycée bénéficie également d’un financement public à hauteur 73%.

L’autre, musulman, se situe à Lille. En 2022, son IPS est de 102, alors que l’IPS moyen en France est de 106,6, et avec un taux de boursiers de plus de 50%.

Les deux polémiques font suite à la publication d’articles de presse mettant en cause l’enseignement dispensé dans ces 2 établissements.

Sauf que :

En ce qui concerne Stanislas, après des enquêtes de Mediapart, du Monde ou de l’Express sur les pratiques problématiques de cet établissement, Pap Ndiaye avait saisi l’inspection générale de l’éducation du sport et de la recherche (IGÉSR) afin de mener une enquête. Les 4 inspecteurs généraux avaient auditionné une centaine de personnes avant de remettre leurs conclusions en août dernier.

Le rapport de l’IGÉSR est donc arrivé sur le bureau de Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation nationale, qui s’est empressé de le dissimuler et de ne rien faire. Lui-même, issu de l’Enseignement privé du VIe arrondissement de Paris, n’allait certainement pas déranger Frédéric Gautier, directeur actuel de Stanislas et ancien directeur diocésain de Paris. Heureusement, suite aux scandaleuses déclarations de la nouvelle ministre Amélie Oudéa-Castéra, ce rapport a été rendu public par Mediapart. Ce document fait état de « dérives » homophobes, sexistes, d’humiliations et de pratiques non conformes avec la loi qui régit la relation de l’école privée sous contrat avec l’Etat. Le rapport dénonce également le caractère obligatoire des heures d’enseignement catholique, ce qui est contraire à la loi. On peut y lire que « La mission s’interroge sur les conditions du respect de la liberté de conscience auquel l’établissement s’est engagé en signant le contrat d’association alors que, à l’inscription, est exigé le respect par les élèves du caractère obligatoire de la catéchèse ». De plus, les inspecteurs généraux alertent sur « les classes non mixtes », « les activités séparées et genrées filles garçons », où « l’attention particulière à la tenue des jeunes filles empreinte de sexisme véhiculant des stéréotypes de genre » et recommandent à l’établissement de « Travailler à une évolution du projet éducatif et des règles de vie, notamment relatives à la tenue vestimentaire, afin de renforcer, conformément aux valeurs de la République, l’égalité filles-garçons et le respect des différences au sein de l’établissement ».

Que sera-t-il fait de ce rapport ? Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas A. Oudéa-Castéra qui agira puisqu‘en raison d’un conflit d’intérêts évident, elle a été déportée de ce dossier. Nous pouvons compter sur Gabriel Attal pour remettre le dossier sous la pile…
Nous pouvons également compter sur Valérie Pécresse pour soutenir Stanislas puisque, contrairement à la ville de Paris, la région Île-de-France qui reconnaît des « manquements » au sein de l’établissement décide de maintenir son financement « à partir du moment où l’Etat maintient le contrat d’association ». Bizarrement, Xavier Bertrand, son homologue « Les Républicains » des Hauts de France, a été plus prompt pour supprimer les subventions au lycée Averroès.

Stanislas n’a jamais été inquiété par quelque inspection ou contrôle que ce soit malgré ses dérives connues et remontées régulièrement par les syndicats au Rectorat, au même titre d’ailleurs que pour d’autres établissements de l’enseignement privé qui usent du temps scolaire pour organiser des messes ou faire intervenir des personnes qui n’ont rien à faire dans une école comme par exemple un intervenant en pastorale de Stanislas qui a lutté contre le mariage pour tous et diffuse ses idées rétrogrades homophobes, sexistes, anti-avortement, dangereuses pour la construction des jeunes, avec la complicité du diocèse.

Pourquoi cette mansuétude vis-à-vis de Stanislas ? Le fait que Stanislas reçoive, dans un entre-soi intolérable, les enfants de politiques proches du gouvernement ou de dirigeants de grandes entreprises ne doit pas y être étranger….

En ce qui concerne le lycée Averroès, le rectorat de Lille annonce,
vendredi 6 février 2015, vouloir « vérifier le respect des termes du contrat d’association signé avec l’État » ( AFP 06/02/2015).
La mission d’inspection diligentée conclut que « Les termes du contrat de l’établissement avec l’État sont globalement respectés » par le lycée Averroès mais qu’« il convient néanmoins, sur certains points, de clarifier le statut et la place du religieux dans l’établissement » (AFP 20/02/2015).

Pourtant, suite à ce rapport et dans une ambiance plombée par les attaques terroristes, la cabale contre le lycée Averroès continue avec des relents d’islamophobie à peine déguisés.
Au début de l’année 2020, la région Hauts-de-France a suspendu ses financements à l’association Averroès : tant pour le forfait d’externat prévu par le code de l’éducation, que pour les subventions d’investissement prévues par convention.
Saisi d’une demande de suspension de ces décisions par l’association Averroès, le juge des référés a donné raison à Averroès.
En comparaison, la région Île de France, en plus de la subvention obligatoire de l’État à hauteur de 70 % du forfait d’externat, a versé en 2023 à Stanislas 487 000 € de subventions facultatives pour la remise en état de deux ascenseurs et d’une centrale d’air.
En revanche, il aura fallu une ordonnance rendue le 31 mars 2021, du juge des référés du tribunal administratif de Lille pour suspendre l’exécution de la décision du 2 mars 2020 du président de la région Hauts-de-France refusant à l’association Averroès le versement du forfait d’externat dû au titre de l’année scolaire 2019/2020.

La région Hauts-de-France refuse régulièrement et illégalement le versement du forfait d’externat à l’association Averroès, sous prétexte du versement d’environ 900 000€ par une association de charité qatarie à Averroès au début des années 2010, tout cela favorisant la stigmatisation des Français de confession musulmane.
Le 11 décembre 2023, la préfecture du Nord annonce sa décision de résilier son contrat d’association avec l’État au lycée musulman Averroès, alors même que, dans son rapport publié le 30 juin 2023, la chambre régionale des comptes Hauts-de-France constate que le collège et le lycée Averroès (800 élèves) « ont su construire une excellence académique ».

Depuis 2020, le groupe scolaire Averroès a fait l’objet de nombreux contrôles administratifs, financiers, pédagogique, éducatifs ou de sécurité. Sans aucun doute cet établissement est le plus contrôlé de tous les établissements de France.
Les motifs invoqués par le préfet pour résilier le contrat relèvent plus de l’insinuation que de l’argumentation, ils négligent le dernier rapport de l’inspection générale de 2020, élogieux pour l’engagement pédagogique des enseignant.e.s et de l’équipe éducative. Le rapport signale aussi qu’ « Aucun de ces jeunes n’a paru soumis à une quelconque contrainte ; au contraire beaucoup font preuve de maturité (…) ».
Cette décision de résiliation du contrat plonge les personnels de droit privé et enseignant.e.s dans une situation où leur avenir professionnel est remis en cause : l’arrêt des subventions liées au forfait d’externat pose la question de leur éventuel licenciement, les enseignant.e.s ne sont pas assuré.e.s de retrouver un emploi à la rentrée prochaine, la garantie de l’emploi n’existant pas dans l’enseignement privé sous contrat.
Si « le contenu du caractère propre » de cet établissement privé musulman « mériterait d’être davantage défini », cela ne justifie en rien les accusations de communautarisme dont il est victime. Au contraire, il est évident que le maintien du contrat d’association est la meilleure solution pour assurer un fonctionnement sous un contrôle normal du rectorat et des autres institutions compétentes.

Aussi, le SUNDEP Solidaires dénonce et refuse le « deux poids deux mesures » flagrant dans la gestion des affaires concernant les lycées Stanislas et Averroès.

Pour nous :

  • L’Etat doit renforcer son contrôle sur l’ensemble des établissements privés sous contrat, qu’ils soient catholiques, juifs, musulmans ou laïcs. Il a le devoir de vérifier l’utilisation de l’argent public et le respect de la liberté de consciences des élèves et des personnels.
  • L’enseignement privé ne doit pas devenir un « ghetto de riches » et c’est pour cela que nous revendiquons des mesures favorisant la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat.
  • Le statut de chef.fe.s d’établissement du privé doit évoluer pour éviter les dérives. Les chef.fe.s d’établissement doivent être formé-e-s et payé-e-s par l’état, comme les enseignant.e.s, afin de permettre leur contrôle par le rectorat.
  • La solution est la création d’un grand service public de l’éducation, gratuit, laïc et émancipateur avec la fonctionnarisation de l’ensemble des personnels.

(1) IPS = l’Indice de Position Sociale permet d’appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents. La première version de l’IPS a été publiée en 2016, à partir de données datant de 2008 (Rocher, 2016)