L’Etat contractualise sans débat des établissements supérieurs privés

vendredi 15 janvier 2010


Après avoir proposé à 58 établissements supérieurs privés de s’engager dans cette voie le 20 juillet 2009 (voir notre article, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche procède actuellement à l’examen des dossiers adressés par les écoles dépendant des fédérations FESIC, UGEI, Udesca, UNFL, notamment les ESSEC, EDHEC, des écoles d’ingénieurs ou les instituts catholiques.

Cette nouvelle « loi Debré » appliquée au supérieur pose des questions
 sur la qualité des formations, sur le respect des valeurs républicaines (dont la liberté de conscience) : les établissements s’auto-évalueraient, ce qui signifie que l’Etat ne se donne aucun moyen de contrôle indépendant ;

 sur les engagements réels de ces établissements à s’inscrire dans une logique d’égalité d’accès à la formation : ils recevront les subventions sans avoir d’obligation en la matière. L’un invoque ainsi : « Nous espérons baisser nos frais de scolarité et/ou accroître les aides financières dans les formations les plus coûteuses » ;

 sur le statut des personnels et sur leur qualité : la loi Debré avait imposé en 1959 le contrôle - et le paiement - par l’Etat des enseignants, puis progressivement leur recrutement obligatoire sur concours. Rien de tout cela n’est envisagé ici, les écoles pourront continuer à utiliser du personnel sous-payé (et quelques surpayés pour l’image de marque) et sans contrôle de leur qualité alors que de l’argent public sera versé plus largement ;

 un système inégalitaire et discriminatoire socialement est en train de se mettre en place sur fonds publics, ce qui d’une part va augmenter la concurrence avec les formations du système d’enseignement supérieur public et, d’autre part, va forcément ponctionner leur budget.
Le SUNDEP dénonce cette manœuvre sans aucun débat public et demande le renforcement du seul système public dans l’enseignement supérieur.

Les établissements concernés doivent rédiger un rapport d’auto-évaluation comprenant les objectifs que chaque établissement prévoit d’atteindre en contrepartie de financements.

Le privé promet plus de recherche...

« Jusqu’à présent, les subventions octroyées aux établissements privés étaient aléatoires et attribuées au coup par coup », soutient Jean-Pierre Gallet, président de l’Union des grandes écoles indépendantes (UGEI) et directeur de l’Itech Lyon.

« La possibilité de signer des contrats quadriennaux avec l’Etat, à l’instar des universités, permettrait à ces établissements d’avoir les coudées franches pour engager des investissements plus ambitieux, notamment en matière de recherche ».

Même priorité au sein de l’Union des établissements d’enseignement supérieur catholique (Udesca). « Malgré une productivité individuelle importante, notre force de frappe en matière de recherche est insuffisante pour être visible en tant qu’établissement », remarque Vincent Goubier, délégué général de l’Udesca et doyen de la faculté des sciences à la « Catho » de Lyon.

...et plus d’ouverture sociale

Parmi les objectifs visés par le ministère à travers la contractualisation : une plus grande ouverture sociale des établissements. « Nous espérons baisser nos frais de scolarité et/ou accroître les aides financières dans les formations les plus coûteuses », assure ainsi Vincent Goubier.

Pour Jean-Pierre Gallet, réduire les frais d’inscription permettrait d’attirer d’avantage d’étudiants étrangers pour de longs séjours, afin de se renforcer à l’international. « Nous pourrions également continuer à améliorer l’encadrement des étudiants pour nous rapprocher des standards internationaux », ajoute le représentant de l’Udesca.

Des indicateurs d’évaluation à définir

Le comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé (CCSEP) planche, au sein du ministère, sur les modalités concrètes de cette contractualisation. Les premières signatures de contrats ne sont pas prévues avant la fin du premier semestre 2010.

Plusieurs points restent encore à éclaircir comme le montant et le versement des subventions ainsi que l’évaluation des établissements signataires par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES).

« Il faut trouver de nouveaux indicateurs pour évaluer la recherche dans nos établissements car elle se fait majoritairement avec les entreprises », explique Jean-Pierre Gallet. Quant à la perte d’autonomie que pourrait engendrer la contractualisation pour les écoles concernées, « le risque existe mais les établissements qui signeront l’assumeront », tranche le responsable.

Un « cadeau » au privé ?

Pour accompagner cette démarche, l’enseignement supérieur privé voit ses financements augmenter de 4,5 millions d’euros en 2010, soit 66,4 millions d’euros au total.

Un « cadeau » qui fait grincer les dents du secrétaire général du Comité national d’action laïque (CNAL). « On déshabille Pierre pour habiller Saint-Paul », lance Laurent Escure, redoutant que cet afflux d’argent public pour les écoles privées ne revienne à « concurrencer les établissements publics ».

Pour Michel Boyancé, président de l’Union des nouvelles facultés libres (UNFL) et doyen de l’IPC, la contractualisation n’est pas un « chèque en blanc » pour le privé. « On est davantage dans l’assouplissement que dans la libéralisation », assure-t-il.

Qui est concerné par la contractualisation ?

Sont potentiellement concernées les écoles des fédérations suivantes :
 La fédération d’écoles supérieures d’ingénieurs et de cadres (FESIC), qui regroupe 27 écoles et 26 000 étudiants.
 L’Union des grandes écoles indépendantes (UGEI), qui réunit 19 écoles d’ingénieurs et de commerce et 20 000 étudiants.
 L’Union nationale des établissements d’enseignement supérieur catholique (Udesca), qui fédère les 5 « Cathos » de Lille, Lyon, Angers, Paris et Toulouse avec 34 000 étudiants.
 L’Union des nouvelles facultés libres (UNFL), qui rassemble 6 établissements et 2 000 étudiants.

Source : d’après Florence Pagneux, EducPros.fr