Enseignant.e spécialisé.e : notre métier est bien mal connu et reconnu

vendredi 7 janvier 2022


" Je me bats tous les jours, tous les jours pour aider mes élèves (de SEGPA) à avoir une meilleure estime d’eux-mêmes , je lutte tous les jours contre les idées préconçues, souvent très négatives que mes élèves ont d’eux mêmes car en échec scolaire ou en grande difficulté scolaire...
Combien de fois , j’entends « je suis nul » !

Je lutte souvent en expliquant aux parents sceptiques , comment cela se passe avec les adapatations de sprogrammes du collège dans cette section...

Et ce film viendrait tout mettre par terre ?

Ce film est présenté comme une comédie parodiant les élèves de Segpa, la Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté.

Cette section, réservée aux élèves présentant de graves difficultés d’apprentissage, couvre les années collège, de la 6e à la 3e. Une sorte de voie parallèle au cursus classique, plus professionnalisante.
Est-il nécessaire de les stigmatiser davantage ? Si ce n’est pour accentuer leur milieu social et culturel....c’est une caricature néfaste de cette section qui aura encore plus d’obstacles chez les parents...

L’article du journal France3, à interviewer Rachid Zerrouki, auteur du livres « les incasables ».

Enseignant en Segpa depuis 7 ans à Marseille, auteur d’un livre sur le sujet (Les Incasables, aux éditions Robert Laffon), Rachid Zerrouki nous explique en quoi ce film peut être destructeur, aussi bien pour les élèves que leurs parents.

Vous avez vu la bande-annonce du film « Les Segpa ». Quelle a été votre première impression ?

Ma première réaction, c’est du dégoût. Du dégoût et de la colère. Et puis l’envie de dire : « Non, ce n’est pas ça ! »

Cette bande-annonce est très éloignée de la réalité, de ce que je vis. Mes élèves ont du répondant, des difficultés. Mais on avance. Ce ne sont pas les abrutis qui m’ont été donnés à voir dans la bande-annonce et dans la série YouTube dont le film est tiré.

La série a déjà fait des millions de vues. Elle a causé beaucoup de dégâts auprès des élèves et de leurs parents. Avec le film, il faut s’attendre au pire : ce sera sur grand écran, il y aura des affiches dans la rue.

J’ai reçu pas plus tard qu’aujourd’hui un message d’une parent d’élève, à propos de son fils, que l’équipe pédagogique souhaite orienter en classe adaptée pour la rentrée de septembre prochain. « Quand je vois la bande-annonce, écrit-elle, j’hésite à placer mon fils en Segpa. »

Voilà les conséquences directes que peut avoir ce film. C’est vraiment dommage.

Les parents ont donc leur mot à dire sur l’orientation des élèves en Segpa ?

L’élève sera orienté en Segpa si et seulement si les parents sont d’accord.

Tout part d’une proposition de l’équipe pédagogique. On choisit d’orienter un élève en Segpa, à la fin de l’école primaire, s’il a des difficultés « trop graves et persistantes », comme le précisent les textes officiels.

Il peut y avoir des réticences de la part des parents. Il est légitime d’avoir peur pour son enfant. Il faut respecter cette peur, mais il faut savoir que si nous proposons cette orientation, ce n’est jamais pour rien. C’est pour permettre à des élèves d’éviter le décrochage scolaire.

Le problème, c’est que les réticences des parents sont dues à la mauvaise réputation des Segpa. Le film co-produit par Cyril Hanouna n’arrange rien.

Envisagez-vous de porter plainte contre la production du film ?

Je n’irai pas jusque là. Je vais prendre un peu de recul : je ne suis pas très à l’aise avec le buzz. Ce n’est pas ce que je recherche.

Je veux juste apporter ma pierre à l’édifice, sans entrer dans une sorte de confrontation médiatique avec ce film.

Je n’irai pas sur les plateaux TV, je ne veux pas débattre chez Cyril Hanouna.

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir enseignant en Segpa ?

Ce n’était pas une vocation. Au départ, je voulais juste obtenir un poste à 100 %, plutôt qu’un poste fractionné entre plusieurs établissements. C’est très difficile d’obtenir ce genre de poste dès la première année d’enseignement.

C’est alors que j’ai trouvé ce poste Segpa, dont personne ne voulait. Certains collègues me disaient : « N’oublie pas ton gilet pare-balles, tu ne sais pas où tu mets les pieds ! »

Sept ans après, j’y suis toujours.

J’y ai trouvé de l’épanouissement personnel et professionnel, un sens très fort à mon métier. Mon cas n’est pas isolé. La plupart des collègues en Segpa ne veulent plus en sortir.

À quoi cela tient-il ?

À la relation avec les élèves, qui est complètement différente. En effet, nous les suivons de la 6e à la 3e. On peut travailler sur du long terme. Et puis, humainement, c’est très enrichissant.

Au fur et à mesure des mois, des années, il y a une relation de confiance qui s’installe.

Ce sont des élèves qui ont subi de nombreux échecs et qui ont une certaine méfiance au départ. Puis des liens très forts se créent : ces liens de confiance nous permettent de réparer ce qui n’a pas fonctionné auparavant.

Y a-t-il un profil type de l’élève en Sepga ?

Absolument pas, c’est même un point essentiel de la Segpa. Les classes de Segpa sont marquées par une grande hétérogénéité. Aussi bien au niveau scolaire que sur les raisons qui ont poussé ces élèves à être orientés en Segpa.

Avant d’être enseignant en Segpa, j’entendais parler d’élèves très agités, d’une certaine forme de violence, se manifestant par des insultes, des coups.

Ce n’est pas ce que je retrouve chez mes élèves, ce n’est en tout cas pas leur point commun.

Bien sûr, il y a un lien entre les troubles du comportement et les difficultés scolaires. Mais il y a d’autres raisons : l’environnement familial, les événements marquants subis durant l’enfance et qui vous empêchent de réfléchir, de vous concentrer sur votre apprentissage.

Cela peut aussi tenir à des raisons de santé : j’ai eu des élèves qui avaient trois ou quatre rendez-vous par semaine à l’hopital.

Vous avez aussi des élèves qui ne maîtrisent pas du tout la langue, qui sont arrivés en France il y a peu. Il n’y a pas de portrait-robot.

Est-ce pour corriger les préjugés que vous avez écrit « Les Incasables », paru chez Robert Laffon ?

Les Incasables raconte mes trois premières années en Segpa. J’ai vécu tellement de rebondissements, de remises en question, d’expériences humaines très fortes, que j’ai ressenti le besoin de raconter tout ça.

J’ai écrit ce livre en précisant bien que je venais d’arriver dans l’Éducation nationale : je ne prétendais pas apporter la réponse à toutes les questions.

En enseignant en Segpa à des élèves âgés de 12 à 16 ans, je savais que je ne façonnerais pas des ingénieurs, des médecins ou des avocats, mais des manutentionnaires, carreleurs, tourneurs-fraiseurs ou professionnels de l’aide à domicile - des prolétaires sans qui tout s’effondrerait, mais que la société méprise, maltraite, sous-paye et exploite. En revanche, j’ignorais tout de ce que j’allais recevoir en retour : des leçons de vie en pagaille, des souvenirs impérissables et un sens à mon métier.

Rachid Zerrouki, Les Incasables, éd. Robert Laffon

Dans ce livre, je voulais donner à voir et à ressentir : ça signifie quoi, être en grande difficulté scolaire ? Ça représente quoi, enseigner à ces élèves ?

C’est une expérience de vie, plus qu’un exercice pédagogique qui révolutionnerait le monde.

Quel message souhaitez-vous adresser aux élèves de Segpa qui se sentiraient blessés par la bande-annonce ?

Je voudrais leur dire de garder leur dignité, de ne pas trop prêter d’attention à l’image qu’on essaie de leur coller.

C’est une discussion que j’ai eue avec mes élèves pas plus tard que ce matin. Il est normal de se sentir insulté, frustré, mais il faut continuer d’avancer.

Mieux vaut ne pas donner d’importance aux gens : ils ne vous critiquent pas vous, mais ils critiquent l’image qu’ils se font de vous.

Est-il nécessaire de faire jouer des « adultes » pour représenter des jeunes entre 12 et 16 ans ? si ce n’est pour accentuer leur mal-être...où la différence n’est pas permise...

Face à un tel manque de réalisme, comment lutter surtout aujourd’hui où le harcèlement solaire est très prégnant, zoomer et grossit par les réseaux sociaux...

Le film adapté de la Websérie est du pain béni pour les harceleurs rendant cette stigmatisation banale, méprisante indigne du respect que l’on doit à chaque jeune...
Doit-on réaliser un film pour humilier les élèves ?

Le SUNDEP Solidaires demande à changer le titre de ce film, et boycotter cette infamie...Et signons la pétition !
Maintenant, nous demandons que le ministère de l’Education nationale prenne ses responsabilités.