Le rectorat des Hautes-Pyrénées ferme une école Steiner

jeudi 11 novembre 2021


Nous vous avions parlé de l’école Steiner de Bagnères-de-Bigorre qui suscitait la polémique dans cette petite ville de 7500 habitants. Plusieurs inspections avaient pointé des manquements administratifs et pédagogiques. L’école doit finalement fermer ses portes.écrit par Laure Daussy dans Charlie Hebdo et mis en ligne le 25 août 2021.

C’est la première fois qu’une école Steiner doit fermer sur décision d’un rectorat en France. On ne se réjouit pas en général qu’une école ferme, mais au vu de l’enseignement très spécial des écoles Steiner et de celle des Boutons d’or à Bagnères-de-Bigorre en particulier, la décision du rectorat semble nécessaire.

« L’école « Les Boutons d’or » de Bagnères-de-Bigorre, établissement privé hors contrat, a fait l’objet de contrôles et de mises en demeure. Il a été constaté la persistance de manquements administratifs et pédagogiques » explique le rectorat. Après deux inspections, en 2019 et 2020, qui avaient donné lieu à des mises en demeure, une nouvelle inspection inopinée le 25 mars a conduit à cette fermeture. Les parents d’élèves ont reçu un recommandé le 20 août, les informant de « l’obligation de re-scolariser leurs enfants dans un établissement public ou privé » nous précise-t-on.

Le rectorat a saisit le procureur de Tarbes. Nous avons pu contacter le procureur de la République Pierre Aurignac qui explique à Charlie : « le Recteur m’a transmis la décision par laquelle il considère que les obligations pédagogiques de cette école ne sont pas respectées. Il lui a adressé plusieurs mises en demeure de se mettre en conformité qui n’ont pas été suivies d’effets. Dans ces conditions, la directrice est contrainte d’en tirer les conséquences et de fermer son établissement ». Si la directrice n’obtempère pas, nous précise-t-il, »elle commettrait un délit pénal ». Il s’agit d’un article de loi (article 227–17–1) qui précise : « Le fait, par un directeur d’établissement privé accueillant des classes hors contrat, de n’avoir pas pris, malgré la mise en demeure de l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation, les dispositions nécessaires pour que l’enseignement qui y est dispensé soit conforme à l’objet de l’instruction obligatoire, (…) et de n’avoir pas procédé à la fermeture de ces classes est puni de six mois d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Il nous explique également : « La fermeture judiciaire n’est prévue qu’en cas « d’entêtement » du chef d’établissement ». Les parents sont contraint de leur côté d’inscrire leur enfant dans une autre école, »faute pour eux de commettre également un infraction pénale ».

Contactée par Charlie, la directrice de l’école assure n’avoir pas reçu d’annonce de fermeture, et nous répond lapidairement : « Nous allons rectifier les erreurs du rapport et rétablir les faits. »

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Les inspections avaient pointé notamment des locaux qui n’étaient pas aux normes, et trop exigus pour accueillir la soixantaine d’élèves scolarisés. « Les petits de l’école, en hiver, en promenade « éducative » en pleine tempête en montagne, parce qu’il n’y a pas de place dans les murs de l’école pour les accueillir : inadmissible », nous dit un représentant de l’État.

Ces rapports critiquaient aussi l’enseignement donné dans l’école. En 2019, le rapport pointait de « multiples insuffisances » et des « doutes sérieux quant à l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences, et de culture ». « L’histoire et la géographie ne sont pas traitées en classe », dénonce l’inspection de 2020  ; « Les sciences ne sont pas enseignées, aucune trace écrite n’ayant été observée »  ; « La démarche d’investigation est apparue absente, la confrontation aux connaissances historiques et scientifiques est inexistante ».

Le rapport aux sciences, effectivement, semblait particulier. La directrice de l’école des Boutons d’or nous nous expliquait elle-même que les résultats de la science ne sont pas enseignés avant la sixième, « pour éviter le dogmatisme ». On pouvait se demander si cette conception ne risquait pas de former de futurs adeptes des pseudosciences et autres antivax… Rappelons que les écoles Steiner ont été développées par Rudolf Steiner, lui-même fondateur de l’anthroposophie, une sorte d’occultisme, parfois méconnu par les parents d’élèves eux-mêmes.

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Précisons que d’autres écoles Steiner existent en France – elles sont au nombre de 22. Certaines sont même, étonnamment, sous contrat avec l’État. C’est le cas des écoles Perceval à Chatou et une autre à Verrières-le-Buisson. Étant sous contrat, elles sont censées dispenser des enseignements « conformément aux règles et aux programmes de l’enseignement public ». Reste à savoir si les inspecteurs qui y viennent ne sont pas bernés. Ainsi,Grégoire Perra, fervent opposant aux écoles Steiner, lui-même ancien élève et ancien enseignant de ces écoles, raconte que lorsque des inspecteurs viennent pour vérifier, « on nous demande de faire des cours spécialement pour eux, avec d’autres cahiers. (…) Moi-même je l’ai fait en tant que prof au cours d’une inspection » explique-t-il, interrogé par Anna Erelle et Jacques Duplessy dans leur livre L’école hors de la République.

En 2020, la Miviludes a reçu 14 saisines concernant des écoles Steiner. Même si l’organisme précise n’avoir connaissance d’aucun cas avéré de dérive de nature sectaire, elle recommande la « vigilance » sur plusieurs points. Notamment la question de la couverture vaccinale dans ces écoles : « Des parents hostiles à la vaccination scolarisent leurs enfants dans ces écoles », précise le rapport de la Miviludes. Elle pointe également le manque d’information et de clarté concernant la pédagogie Steiner vis-à-vis des parents. ●

Article mis à jour le 27 août avec la réaction de la directrice de l’école, et la déclaration du Procureur de Tarbes.

Droit de réponse de la Fédération – Pédagogie Steiner-Waldorf en France
La Rédaction
Mis en ligne le 21 juillet 2021
Paru dans l’édition 1513 du 21 juillet

À la suite de notre reportage sur une école Steiner à Bagnères-de-Bigorre, « la Fédération - Pédagogie Steiner-Waldorf en France » nous a demandé un droit de réponse. Nous avons aussi quelques éléments à leur rétorquer, les voici.