France patrie des droits de l’Homme ?

mardi 16 février 2010


Un ex-premier ministre belge, Guy Verhofstadt, libéral mais attaché aux libertés, écrit dans le Monde « Il y a quelque chose de pourri en République française... » à propos du débat sur l’identité nationale « devenu un défouloir au remugle vichyste ».

Jean-Pierre Dubois, professeur de droit public à Paris-XI et président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), évoque le « laxisme » de la France pompidolienne (pourtant jusque là cataloguée pour sa dérive autoritaire) par rapport à la situation actuelle où, sous couvert d’antiterrorisme, on asphyxie la démocratie, on exclut et on prive de droits sociaux des parts de plus en plus importantes de la population, on pourchasse des étrangers au mépris du droit et on installe une société de surveillance.

Enfin, le ministre Besson veut encore durcir la législation concernant les étrangers (voir communiqué Solidaires)...

Dans ce contexte intervient la nouvelle loi sur la sécurité intérieure, 15e sur le champ de la sécurité qui s’attaque une fois de plus aux libertés publiques et encourage les forces de police à la répression sans limites.

Où va-t-on ? Est-on déjà dans un temps néo-fasciste ?

 Interview de Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’Homme

Pourquoi avoir lancé une campagne sur les libertés publiques ?
Parce que nous voyons converger une série de dérives et de régression des droits qui vont très au-delà de nos inquiétudes récurrentes. Il y a une histoire longue de ces dérives, qui commence à la fin des années 1970, mais sur cette tendance lourde se greffent des aggravations considérables.

Si nous revenions à l’époque de Georges Pompidou, nous serions surpris du « laxisme » des gouvernements. Cela paraît incroyable, mais avant 1970, la consommation de stupéfiants n’était pas un délit. En 1977, le Conseil constitutionnel interdisait à un policier d’ouvrir un coffre de voiture parce que c’était un élément du domicile. Et il n’y avait pas de législation antiterroriste dérogeant aux droits de la défense, permettant des gardes à vue prolongées, débouchant sur des détentions provisoires de quatre ou cinq ans. Même l’extrême gauche n’oserait pas revenir aux années 1970.

Pourquoi cette évolution ?
Robert Badinter avait vu juste quand il parlait de « lepénisation des esprits ». On pourrait démontrer qu’une bonne moitié du programme présidentiel de Jean-Marie Le Pen en 2002 est passé au Journal officiel depuis. C’est grave, mais malheureusement vrai.

Comment analysez-vous la loi sur la sécurité intérieure ?
Beaucoup de choses me choquent, mais le plus terrifiant, c’est la logique d’interconnexion des fichiers. Il n’y a pas une semaine où n’est pas créé un nouveau fichier de police, et on installe aujourd’hui un gigantesque carrefour du fichage et du traçage. Si l’on croise les GPS des voitures, les téléphones portables, les passes Navigo de la RATP, on aboutit à une localisation permanente des gens qui est fascinante.

La vidéosurveillance se transforme en vidéoprotection...
C’est la novlangue, comme on dit plan social pour plan de licenciement : nous protéger signifie désormais nous surveiller, et l’idéal du citoyen devient le détenu de Fleury-Mérogis, effectivement constamment sous « protection ». Nous sommes entrés dans une société du soupçon, chaque citoyen est suspect, chaque internaute un pirate potentiel. Paris se met à la vidéosurveillance, quand Miami l’abandonne. Miami, pourtant un bastion sécuritaire, démonte ses caméras parce que ça coûte un argent fou et que cela ne sert à rien. L’objectif véritable en France n’est pas la sécurité, c’est d’habituer le citoyen à être surveillé.

Que propose la Ligue ?
Nous proposons un pacte pour les droits et la citoyenneté. Pas un programme politique, seulement la recherche de convergence de la société civile pour redonner espoir en l’avenir. Pour la justice, il est essentiel de préserver l’indépendance de la phase d’instruction. Non pas que nous soyons satisfaits du statu quo, le juge d’instruction est légitimement critiqué, mais parce que le degré actuel de dépendance du parquet n’est pas tolérable.

S’y ajoute la suppression des procédures d’exception. La France n’a vécu que cinq ans sans justice d’exception, de 1981, année de la suppression de la Cour de sûreté de l’Etat et des tribunaux permanents des forces armées, à 1986, vote des lois antiterroristes. Aujourd’hui, 40 % des affaires échappent au droit commun. La loi devrait être la même pour tous, qu’elle protège ou qu’elle punisse, conformément aux principes de 1789.

Sur la police, nous voudrions créer une attestation de contrôle d’identité. A chaque contrôle, le policier inscrirait son nom, celui de la personne contrôlée, le lieu, l’heure et le motif légal du contrôle. Cela sécuriserait les personnes contrôlées et prendrait cinq minutes. Ce système fonctionne déjà en Espagne et à Chicago où les policiers s’en trouvent fort bien.

Pour les prisons, nous voulons proscrire « les sorties sèches ». Toute fin de peine de prison doit s’exécuter à l’extérieur sous contrôle judiciaire. C’est important pour les droits des détenus mais aussi pour protéger la société : le taux de récidive est trois fois inférieur quand le détenu a préparé sa sortie.

Et les fichiers de police ?
Il faut généraliser le droit d’accès et de rectification aux fichiers et créer un habeas corpus numérique : qu’est-ce qu’on dit sur moi, est-ce que je peux rectifier ce qui est faux, etc. Nous proposons un référé vie privée, permettant aux citoyens de saisir un juge qui puisse, sous peine d’astreinte, mettre fin au fichage abusif. Nous allons discuter avec nos partenaires associatifs et syndicaux pour ensuite porter ces propositions devant les forces politiques à l’automne. A elles ensuite de s’en saisir.

Source Le Monde

 Il y a quelque chose de pourri en République française...

Pour ses voisins, la France a souvent été un modèle d’inspiration et d’admiration, par l’intensité et la portée universelle des débats intellectuels dont elle a le secret. Elle est source d’accablement pour ses amis qui la voient se perdre dans une polémique stérile sur l’identité nationale. L’opportunité politicienne de ce débat, sa conduite hésitante et ses finalités floues donnent en effet l’impression désastreuse que la France a peur d’elle-même. Il y a décidément quelque chose de pourri en République française.

Le séminaire, qui s’est déroulé en catimini le 9 février, témoigne du piège dans lequel s’est enferré le gouvernement. D’abord son opportunité lui échappe : censé contrer le Front national, le débat sur l’identité nationale a au contraire remis les thématiques d’extrême droite au premier plan. Ensuite, sa conduite a fait défaut : faute de consensus politique au sein même de la majorité présidentielle, ces discussions de sous-préfecture et le site dédié sont devenus un défouloir au remugle vichyste. Enfin, quelles sont les finalités de cette affaire ? Apprendre La Marseillaise à l’école ? L’absurde le dispute au grotesque.

Non pas qu’il faille avoir honte de son chant patriotique. Mais plutôt que de se lamenter sur le fait que les jeunes connaissent mieux les paroles d’un chanteur à la mode plutôt que celles de l’hymne national, les Français devraient plutôt être fiers de savoir que La Marseillaise est connue.

Cette crispation sur les symboles nationaux est le symptôme le plus patent du malaise national transpirant à travers ce débat raté. C’est un réflexe de peur incompréhensible quand on connaît le poids et l’influence de la France en Europe et dans le monde. Tous les pays ont des problèmes d’immigration, les ex-pays coloniaux plus que les autres, mais nous savons bien que c’est moins l’islam qui pose problème que le manque de formation et le chômage.

Pour un voyou d’origine africaine ou un Maghrébin islamiste qui affuble sa femme d’une burqa, combien de jeunes issus de l’immigration parviennent à s’insérer et à vivre de leur travail dans nos sociétés ? L’immense majorité. Ce serait une insulte à l’avenir national si ce débat sur l’identité devait conduire à stigmatiser des couches de la population à cause des comportements individuels d’une minorité agissante, dont le cas relève de la police et de la justice.

Lorsque la France a remporté la Coupe du monde de football, je ne me souviens pas, bien au contraire, que les Français aient eu à se plaindre des capacités sportives que donnait à leur pays sa diversité ethnique et culturelle. C’est de cette France-là que l’Europe a besoin, un pays ouvert et solidaire, qui s’est forgée une identité plurielle et universelle. Deux concepts si bien mis en lumière par Amartya Sen et Karl Popper, dont j’ai repris et développé la pensée en 2006 dans un manifeste politique intitulé « Plaidoyer pour une société ouverte ». Pour moi, l’essentiel en effet n’est pas d’où l’on vient mais où l’on va.

Au moment où l’on célèbre le 50e anniversaire de la mort de Camus, il serait paradoxal que la France s’abandonne à une posture étrangère à celle qui a fait sa réputation multiséculaire. Il existe certes une autre France, maurrassienne, chauvine qui ne s’est pas illustrée au mieux lors des grands chocs nationalistes du XXe siècle. Mais de la France qu’on aime et dont on a besoin, on attend des idées, des projets, et non pas le repli identitaire d’une vieille nation frileuse, plus occupée à ressasser les échecs du passé qu’à préparer ses succès de demain. Le légitime respect dont jouit toujours la France hors de ses frontières est un gage de reconnaissance précieux et un point d’appui pour redonner confiance aux Français. Un peuple confiant trouvera sa place dans l’Europe et le monde. Et ses gouvernants seraient bien inspirés d’en prendre conscience.

Guy Verhofstadt est président du groupe de l’Alliance des démocrates et des libéraux au Parlement européen, ancien premier ministre belge.

Source Le Monde

 Communiqué Solidaires du 15 février 2010 Besson : la frénésie de la régression

Alors que les travailleurs sans papiers entament leur cinquième mois de grève et ont démontré une détermination intacte par une manifestation samedi dans les rues de Paris de plus de 3 000 personnes, Besson, après une circulaire drastique sur la régularisation par le travail, commet un avant-projet de loi tout aussi régressif pour les personnes en situation irrégulière.

Au nom de la transposition en droit français de la directive « retour » européenne, et après avoir été sanctionné par les juges des libertés et de la détention dans le traitement des réfugiés Kurdes arrivés en Corse en janvier dernier, Besson veut changer la loi pour faciliter les expulsions des étrangers.

La création des zones d’attente autoriserait l’administration à procéder à la privation de liberté des étrangers quel que soit le lieu où ils arrivent, et plus seulement en zones frontalières.

Le droit de recours pour les étrangers frappés d’une OQTF passerait de 30 jours à 48h, l’interdiction de retour de 3 ans se rait prolongée, en cas de récidive, de 2 ans !

L’intervention du juge des libertés et de la détention serait retardée, et la durée maximale de rétention augmentée.

Comme il ne lui suffit plus de sévir dans son champ d’attribution, il se mêle de droit du travail en reprenant l’idée de fermeture des entreprises, par les préfets, employant des travailleurs sans papiers, alors que le collectif des onze syndicats et associations, avec les grévistes, exige depuis des mois la régularisation de ceux et celles qui vivent et travaillent depuis des années sur le territoire.

La mobilisation doit s’amplifier contre toutes les mesures régressives de ce gouvernement.