Erwan Redon, prof désobéisseur, muté d’office par sa hiérarchie

vendredi 2 octobre 2009


Erwan Redon, enseignant désobéisseur dont vous avez déjà entendu parler sur Rue89, a finalement été muté d’office. La sanction est arrivée vendredi 25 septembre, par huissier, à l’école du quartier Belsunce à Marseille où l’enseignant avait repris du service à la rentrée.

Chargé d’une classe « double niveau » CM1-CM2, Erwan Redon s’était opposé à sa hiérachie à plusieurs reprises, en particulier sur les dernières réformes mises en place par Xavier Darcos avant son départ du ministère : suppression des Rased, soutien scolaire obligatoire ou encore fichier base élèves.

Voici ce qu’en disait par exemple en juin 2009 l’enseignant de 36 ans, qui a, en plus de sa mutation, écopé de 32 jours de retenues sur salaire :

 « Je ne suis qu’un pauvre petit enseignant de rien du tout. Ni la culture d’un Meirieu, d’un Frackowiac, l’inventivité d’un Freinet ou la plume “ désobéisseuse ” d’un Refalo.

 Mais quelques sentiments qui me font dire non. Si fonctionnaire je suis devenu, en acceptant une part de contrainte, ce n’est pas pour autant que je considère que je dois obtempérer devant tout ordre quel qu’il soit.

 Dire non aux injustices, aux aberrations du quotidien scolaire, c’est refuser une somme de petites choses qui forment un tout hypocrite de l’école, invisible des passants, camouflée derrière la grille républicaine. »

Le rapport de la commission disciplinaire arguait pour sa part de plusieurs critères pour lester la charge de « faute professionnelle », et notamment :

 son refus d’appliquer l’aide personnalisée telle que sa hiérarchie la prévoyait,
 son refus d’être inspecté,
 son refus de faire passer les évaluations prescrites l’an dernier par Xavier Darcos.

La stratégie de l’usure

Depuis, l’administration est donc allée au bout. En respectant la procédure habituelle, certes, mais d’une façon plutôt contestable, aux yeux de Me Sophie Semeriva. L’avocate a défendu Erwan Redon jusqu’au bout de la nuit (ou presque), le 17 septembre dernier. Voilà ce qu’elle expliquait à Rue89 en milieu de semaine dernière, alors que la sanction définitive n’était pas encore tombée :

 "On marche sur la tête. L’inspecteur d’académie a convoqué la commission paritaire à 15h00 en sachant pertinemment qu’il faudrait entendre 17 personnes citées par Erwan : 12 témoins et 5 défenseurs (parmi lesquels une avocate, des syndicalistes, un pédagogue ou un confrère réfractaire, ndlr). Sans compter les quatre inspecteurs cités par l’administration.

 Ils ont joué l’usure, on a fini par quitter la salle à 3h00 du matin, heure à laquelle Erwan avait finalement peu parlé. Ils ont terminé entre eux vers 5h00 pour conseiller à la hiérarchie la mutation."

Pour l’avocate, l’horaire est certes grotesque, mais c’est plus encore « la confusion de l’autorité disciplinaire et de l’autorité hiérarchique », que dénonce Sophie Semeriva aujourd’hui.

Plusieurs casquettes

En effet, c’est Gérard Trève, inspecteur d’académie des Bouches-du-Rhône et représentant du ministre dans le département, qui présidait et animait les débats durant la Commission paritaire administrative ce 17 septembre… et le même Gérard Trève qui se trouve être le patron d’Erwan Redon, qui signera la sanction définitive.

La procédure est certes tout à fait dans les clous. Mais, pour l’avocate, cela n’en est pas moins « une mascarade » puisque la personne ayant techniquement autorité sur son client se trouve de facto « juge et partie ». Joint à l’Inspection d’académie à deux jours de la retraite, Gérard Trève juge cette affaire « d’une banalité affligeante » :

 « Le piège dans lequel tombent les médias, c’est de faire passer Erwan Redon pour une victime de son opinion politique. Or ce que moi je lui reproche, en tant qu’employeur, ce sont ses insuffisances en classe. Ca n’a rien à voir. Qu’on n’en fasse pas une Jeanne d’arc qui viendrait sauver la pédagogie en France, c’est d’un ridicule ! »

Et quid de la confusion des genres entre la commission paritaire et sa capacité de décision finale en tant que patron de l’inspection d’académie ?

 « C’est un discours classique chez les avocats qui confondent une commission de discipline et une procédure judiciaire. Qu’elle fasse donc changer la loi si cela ne lui plait pas, je me suis conformé aux textes. »

Erwan Redon, censé prendre son nouveau poste dès ce début de semaine dans une autre école de Marseille, a quant à lui décidé de faire appel. D’abord devant le Conseil supérieur de la fonction publique, puis devant le juge administratif.

Par Chloé Leprince, site Rue89, 28/09/2009