Une analyse du « cahier des charges de la formation des maîtres en Institut Universitaire de Formation des Maîtres »

lundi 8 janvier 2007


Christian Alin, enseignant-chercheurà l’IUFM de Lyon, analyse le cahier des charges de la formation des enseignants décidé par G. de Robien et publié dans un Arrêté du 19 Décembre 2006.

Texte qu’il qualifie d’ambivalent, ambigu, et finalement porteur d’une vision des questions éducatives, très classique sur le plan technique et très libérale sur le plan politique.

Christian Alin : « « Larvatus prodeo, J’avance masqué », disait Descartes, De Robien aussi. »
Entretien avec Le Café pédagogique

 I- Des « bonnes intentions annoncées » à la réalité

Parce que leader assumé dans la bataille médiatique récente, notamment sur l’apprentissage de la lecture, de la grammaire, le ministre De Robien est accroché à des savoirs disciplinaires mesurables et évaluables qui permettront de revenir enfin à de la « vraie instruction ».

Parce qu’associé pleinement aux critiques fortes à l’égard des IUFM, quant à la formation des enseignants pour répondre à ce qu’on nomme l’échec scolaire et au fait que 150.000 jeunes par an quittent le système éducatif sans diplôme, on connaît son scepticisme, sa méfiance, sa critique envers ceux qu’on appelle les « pédagogues » et/ou les chercheurs en éducation.

Porteurs d’ambition éducative, ces derniers sont soupçonnés d’être, notamment dans la formation des maîtres, à l’origine de la difficulté de ces derniers à résoudre l’échec scolaire, aussi bien sur les questions de savoirs minimums, de socle commun que sur celles de l’autorité du maître, de la violence scolaire, de l’orientation scolaire.

Chantre d’un retour à un enseignement traditionnel, nostalgique des méthodes classiques que lui et la génération politique au pouvoir ont personnellement vécu, le ministre De Robien commence par surprendre son monde, en annonçant et reprenant à son compte dans son projet des principes relativement novateurs et prometteurs recommandés par le HCE.

Pour autant une lecture attentive de ces principes, tels qu’ils sont énoncés, formulés, actualisés en propositions concrètes, révèle, non seulement, un texte ambivalent mais aussi un texte au final porteur (ce qui n’est pas pour nous surprendre) d’une idéologie ultralibérale et externalisante sur les visées, les objectifs et surtout les moyens financiers et humains que sa politique veut donner à l’école du 21è siècle.

On peut résumer son texte sur les quatre principes suivants :

1. Sortir la formation des maîtres de son cadre traditionnel strictement attaché à une discipline pour définir une formation en 10 compétences qui forme à un métier et prépare à une mission.
L’une d’entre elles est la maîtrise des savoirs disciplinaires, les autres englobent la totalité des missions de l’enseignant :
 agir de façon éthique et responsable ;
 gérer la classe ;
 prendre en compte la diversité des élèves ;
 travailler en équipe et coopérer avec les partenaires, etc.

Sauf que dans la réalité une telle formation ne peut vraiment se mettre en place que si on reconnaît à ce métier et à cette mission une qualification professionnelle de haut niveau accompagnée de l’autonomie, la confiance, la marge d’autorisation et d’action que doit posséder tout cadre A(1).

Aucun mot sur le niveau de qualification professionnel.
Pire encore, le mémoire professionnel est sous l’éteignoir et sa possible équivalence et/ou transformation en un Master universitaire mise de côté.

Décision catastrophique, non seulement au niveau de la formation elle-même, mais aussi sur celui de la reconnaissance et de la qualification du métier dans un monde de l’éducation et de la formation qui se mondialise et s’européanise et dans lequel l’évaluation du niveau reconnu d’expertise sera déterminante.

2. Étaler la formation des maîtres aussi bien en amont du concours (par une formation universitaire pré-professionnelle) qu’en aval par une formation continue prolongeant la formation initiale et dont l’animation devrait se répartir entre l’IUFM (institutionnellement intégré ou non à l’université) et les instances académiques du Rectorat.

Sauf que dans la réalité, l’université devra accomplir une véritable révolution copernicienne quant à ses critères de reconnaissance professionnelle. Pour l’instant, ceux-ci sont réduits à la seule prise en compte des travaux de recherche. Les activités administratives, pédagogiques sont minorées pour ne pas dire ignorées par le CNU et/ou les commissions de spécialistes qui recrutent paradoxalement des enseignants-chercheurs.

Sauf que dans la réalité, mis à part quelques domaines comme celui des STAPS, des IUT, de la Médecine, l’université n’est pas en mesure aujourd’hui d’assumer ce cahier des charges.
Leur carrière étant fortement arrimée à leurs travaux de laboratoire et à leurs publications de recherche, les universitaires ont souvent délaissé leur propre formation professionnelle quant à leurs activités d’enseignement et de formation. Il suffit de noter la grande impuissance des services de formation universitaire à promouvoir une pédagogie à l’université.

3. Organiser une formation théorie-pratique en alternance qui revendique le stage pratique comme le cœur du processus de professionnalisation et qui nécessite des formateurs reconnus par l’université (formation de formateurs) et les corps d’inspections (validation de leur expérience de terrain).

Sauf que dans la réalité, comprendre l’alternance théorie-pratique comme étant la juxtaposition de deux espaces-temps : la théorie à l’université et aux universitaires, le pratique et le professionnel aux gens dits de terrain, aux instances académiques, c’est aller à l’encontre de tout ce que l’expérience et la richesse de l’alternance nous a appris, à savoir le théorie et le pratique doivent se trouver intégré dans chacun des domaines de l’alternance : et l’université et le terrain. C’est une position qui se trouve à l’inverse de tous les systèmes éducatifs européens

Sauf que dans la réalité, quand les universitaires s’intéressent à l’enseignement et à la formation, il adoptent le plus souvent une position top down dont la règle est la proposition d’une application pure et simple de leurs travaux sur le terrain, sous prétexte qu’ils sont scientifiques, porteur d’une universalité dépassant les contingences du terrain.

Sauf que dans la réalité, penser que la simple remise institutionnelle du théorique à l’université sera suffisante, c’est oublier la vision applicationniste de la plupart des universitaires. Or les expériences internationales et positives en matière d’enseignement supérieur posent que la fonction des universitaires doit être autant d’apporter du savoir que de le partager en privilégiant le tutorat et non de se réduire à l’apport magistral décontextualisé, tel qu’il est le plus souvent pratiqué en France, notamment dans le premier cycle actuel ou dans le L du LMD.

Sauf que dans la réalité, en pensant la simple remise de la responsabilité du stage au terrain, c’est certes reconnaître que les stages sont effectivement au cœur du processus de formation, mais c’est avoir l’illusion de croire au vieux fantasme de la formation sur le tas, de penser que le compagnonnage et le terrain sont les seuls garants d’une professionnalité. C’est oublier que les stages doivent, eux aussi, non seulement articuler et intégrer le théorique et le pratique.

Sauf que dans la réalité, c’est oublier un important problème : la formation et l’accompagnement de ces intervenants pour en faire des professionnels en ce domaine d’intervention. Être un enseignant expert ne veut pas dire que l’on sera automatiquement un formateur efficace. Être un sportif de haut-niveau ne veut pas dire que l’on sera obligatoirement un bon entraîneur, métaphore sportive oblige !

Sauf que dans la réalité, c’est oublier que la plongée sur le terrain doit s’accompagner d’un temps suffisant de préparation didactique et professionnelle, d’accompagnement et de retour réflexif effectué au sein de la structure de formation initiale, sous peine d’exposer non seulement les enseignants-stagiaires à des difficultés d’intervention et des souffrances identitaires importantes mais aussi les élèves à des interventions inconsistantes.

4. Appuyer la formation des maîtres « en s’appuyant sur les résultats de la recherche dans les sciences et les disciplines comme de ce qu’on appelle la « recherche en éducation, c’est-à-dire la recherche dans les sciences et les disciplines qui concourent à l’efficacité des pratiques pédagogiques ».(2)

Sauf que dans la réalité, en France, les recherches en éducation sont considérées comme « molles » et se situent très bas dans la hiérarchie des disciplines dites scientifiques. Le crédit de scientificité voire d’efficacité leur ait en règle générale dénié. Pourtant, elles démontrent tant en France qu’à l’international la vivacité de leurs travaux notamment dans les domaines de la formation et de l’intervention. Elles montrent que leur collaboration étroite avec les acteurs de terrain permet d’obtenir une véritable légitimité et une véritable efficacité dans la construction de connaissances scientifiques en ce domaine.

Sauf que dans la réalité, on ne peut que s’inquiéter de la place statutaire et budgétaire que vont prendre ces recherches au sein des neuf PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur) que le ministre vient de proposer sous la pression de l’évaluation de Shangaï(3) et de la compétition internationale. Les statuts de ces PRES laissent une place mineure dans les instances de décision aux ex-IUFM(4). Les recherches et les postes en éducation risquent de ne bénéficier via le strapontin laissé à l’ex IUFM que de peu de moyens pour peser dans les débats et les choix budgétaires.

 II - Des évaluations, des maintiens et des oublis masqués qui posent problème

1. Faire évoluer la fonction des enseignants en amenant la bivalence
Par l’intermédiaire de la formation universitaire inciter les futurs enseignants à « s’engager dans des parcours de formation universitaires ouvrant sur les mentions complémentaires offertes dans certains concours de recrutement et permettant la bivalence ».

Cette phrase comporte trois lignes sur l’ensemble du texte et arrive dans le contexte sensible et médiatique de la ré-définition du service public, des charges horaires en présentiel ou non des enseignants, de leur fonction (enseignante, éducative, service administratif, remplacement). Les enjeux de formation, de fonction et d’évolution dans la carrière des enseignants n’ont pas véritablement été discuté.

Le ministre s’est contenté d’instiller par arrêté (5) des possibilités de qualification potentielle complémentaire dans l’obtention de certains CAPES et CAPEPS. Larvatus prodeo.

2. Maintenir le concours entre les deux années de formation
Le maintien d’un concours à la fonction publique entre les deux années de formation est maintenu et acté.
Certains pensent qu’il serait mieux placé en amont de deux années de formation initiale.

Pour autant, il est dans ce texte présenté dans sa version la plus traditionnelle. Il renforce le caractère successif de la formation, maîtrise des savoirs universitaires disciplinaires en amont, formation professionnelle en aval.

Adopter une telle option c’est complètement ignorer des difficultés de sens et de compréhension, bien connues par les formateurs, et que rencontrent les étudiants à se construire des connaissances et des compétences quand elles sont à ce point séparées et décontextualisées.

Adopter une telle option c’est continuer à amener des étudiants uniquement formés sur des savoirs disciplinaires de type universitaire à passer une année de formation professionnelle et de démarrage dans le métier extrêmement difficile, avec une remise en cause identitaire souvent douloureuse, surtout au cours de leur immersion dans la complexité didactique et relationnelle des stages pratiques

Ne pas mettre au concours une évaluation des connaissances et des compétences éducatives et pédagogiques nécessaires à ce métier « in front of » à forte composante relationnelle, c’est faire preuve d’angélisme quant à la détermination des étudiants à se doter en amont de celle-ci. « Si les éléments de pré-professionalisation devant figurer dans le cursus licence et la préparation au concours ne sont pas évalués, ils resteront très marginaux. Quel étudiant va se lancer dans des activités non validées au concours prendre ainsi le risque de ne pas être reçu, car pouvant être devancé par des étudiants se concentrant sur les aspects exclusivement disciplinaires du concours ».(6)

Maintenir le concours dans cette position temporelle de la formation et de la qualification des enseignants, c’est maintenir l’existant et ne pas trancher entre les tenants du savoir disciplinaire en amont de toute formation, les puissantes associations professionnelles disciplinaires, notamment des agrégés, et les questions difficiles d’une orientation et d’une sélection pré-professionnelle cohérente. Larvatus prodeo - Pas de bruit, pas de vague.

3. Oublier le mémoire professionnel
Comment comprendre l’oubli de la référence du mémoire (professionnel) dans la future formation et la validation universitaire des métiers des enseignants, si ce n’est le désir et l’intention de maintenir cette qualification dans l’échelle des métiers en dessous de ceux qui ont accès au Master et/ou au Doctorat, dans le cursus qualificatif européen et mondial du LMD ?

La référence du texte au crédits-ECTS (7) apparaît comme une référence factice, alors que les systèmes de formation européens situent ce métier au niveau Master, avec la présence d’un mémoire de recherche et/ou professionnel dans l’évaluation des compétences attendues. Dans beaucoup d’autres pays européens, le recrutement des enseignants est privé, les salaires négociés. Peut - on penser que dans l’ombre de cette position, il y a la question du niveau de reconnaissance institutionnelle et financière que l’on est prêt à accorer à cette fonction plutôt qu’à ce métier dans le cadre des possibilités budgétaires d’un service public. Larvatus prodeo.

 III - Au final un texte ambivalent qui partage

Le CSE a voté non. Le texte a été rejeté par 23 voix contre (FSU, CGT, FO, Sud, Snic) contre 17 pour (les associations de parents, le Snpden), L’Unsa (et le Se-unsa) se sont abstenu. Le SGEN a refusé de voter.

Dans le sentiment partagé par tous qu’il faut agir pour sortir de la situation de crise dans laquelle est perçue l’école, ce n’est pas un hasard si les parents sont séduits par le discours apparent de bon sens du Ministre et si les personnels d’encadrements, des chefs d’établissement suivent leur ministre.

On ne peut que comprendre la décision des syndicats pour voter contre ou refuser de voter face à un texte aussi ambivalent, ambigu, et finalement porteur d’une vision des questions éducatives, très classique sur le plan technique et très libérale sur le plan politique.

Notes :
(1) En ce domaine et pour exemple, les procès d’intention et la volonté du ministre d’imposer des conceptions pédagogiques et techniques aux enseignants sur l’enseignement de la lecture et de la grammaire ; cette posture ministérielle a eu pour conséquence de demander à la hiérarchie administrative et d’inviter les parents à rechercher et à dénoncer les « fautifs » qui ne semblent, pas selon, eux respecter les consignes du ministre. Heureusement le ministre a dû reculer sur ces désirs de sanctions envers ceux qui ne mettaient pas assez vite le doigt sur la couture de leur pantalon. Cf. l’affaire Pierre Frackowiak.

(2) Il faut noter que cette note disparaît entre le projet d’arrêté et l’arrêté final. Ce qui montre le peu de pertinence en définitive de ces recherches en éducation dans la pensée du Ministre.

(3) Pour la quatrième année consécutive, l’Institut d’enseignement supérieur de l’Université de Shanghai Jiao Tong a publié le classement des meilleures universités du monde. Les résultats sont désastreux pour l’Europe en général. En France, l’université Pierre et Marie Curie Paris VI arrive à la 45e.

(4) Cf. Les statuts de PRES de Lyon et qui ont été présentés rapidement sans concertation préalable avec le personnel et acceptés tels quels par le CA de l’IUFM. 

(5) Cf. L’arrêté du 17 Juillet 2006 fixant les conditions d’organisation d’une mention complémentaire pour certaines catégories de personnels enseignant du second degré.

(6) Jean louis Auduc, Dir-adjoint IUFM de Créteil

(7) European Credit Transfer Systm, en français : « système européen de transfert et d’accumulation de crédits. »