6°inclusive vers la fin de la segpa ?

dimanche 10 février 2019


Les élèves de Segpa sacrifiés au nom d’un collège « plus inclusif »
Par Anthony Cortes, publié dans Marianne le 06/02/2019

Depuis 2016, par la volonté d’inclure davantage les élèves en grande difficulté dans la voie générale, les classes de Segpa au collège se vident, entraînant automatiquement de nombreuses fermetures de classes. Un démantèlement à bas bruit qui menace les chances d’insertion professionnelle de ces élèves.

Dans l’indifférence générale, les sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) s’éteignent à petit feu. Tant pis pour les élèves présentant des difficultés scolaires « graves et persistantes » que ces classes sont censées accueillir au collège, à chaque niveau. Selon les remontées des syndicats de tout bord, pas une académie ne serait épargnée par ce lent démantèlement.

La faute à la mise en place progressive depuis 2016 de « classes inclusives » en lieu et place de ces structures nées en 1996.
Le principe : mélanger les Segpa aux autres élèves dans des classes « ordinaires » tout en leur garantissant une « pédagogie adaptée » à leurs besoins. Une solution qui n’a qu’une seule utilité, aux yeux des syndicats, celle de faire des économies d’heures allouées aux Segpa et donc, de professeurs. Le résultat est « une catastrophe », dénoncent-ils en chœur. Autant pour les élèves concernés, qui bénéficient d’un accompagnement trop léger pour leur éviter un échec scolaire programmé, que pour les professeurs, obligés de se soumettre à une gymnastique impossible entre des élèves aux attentes et aux niveaux radicalement différents.

Derrière l’évolution « inclusive », le décrochage

Dans son collège du Creusot (Saône-et-Loire), Amanda* observe la disparition des Segpa. Il y a quelques années, témoigne cette professeure de langue auprès de Marianne, chaque niveau avait deux classes de Segpa. Mais depuis la circulaire du 28 octobre 2015 incitant à « une meilleure inclusion de la Segpa dans le collège », celles-ci se sont peu à peu effacées. Désormais, il n’y en a plus qu’une par niveau, chacune comptant 16 élèves, soit la capacité maximale autorisée d’une classe de ce type.

« Notre hiérarchie justifie cette évolution à la baisse par une diminution des demandes d’inscription, rapporte-t-elle. C’est faux : si le taux d’élèves scolarisés Segpa s’écroule, c’est parce qu’on les pousse de plus en plus vers les classes générales dites ’inclusives’. Mais les demandes de prise en charge ne baissent pas, on éconduit simplement ces élèves par souci de rentabilité ».

Dans ce collège comme dans beaucoup d’autres, l’ouverture de « sixièmes inclusives » à la rentrée 2016 est pointée comme le point de départ et « l’outil » de cet assèchement. Le tout justifié par un objectif en apparence louable : favoriser l’intégration des élèves en grande difficulté dans la communauté scolaire. « Nous ne sommes pas dupes, poursuit Amanda. La mise en place de ces classes, sous son vernis humaniste, n’a qu’un but : faire fondre les effectifs, réduire les heures et faire disparaître par elle-même ces classes spécialisées. Par la dissolution des Segpa, la conséquence, c’est l’abandon pur et simple de ces élèves ».

« Être en charge de ces classes plurielles est un véritable crève-cœur »

Dans ces « classes inclusives », ces élèves continuent néanmoins de bénéficier d’un certain accompagnement. En cours de français et de mathématiques, ils sont répartis dans des petits groupes à l’écart pour leur permettre d’avancer à leur rythme, d’acquérir des savoirs qu’ils n’ont pas acquis à l’école primaire. Dans les autres matières, des professeurs des écoles interviennent par intermittence pour soulager ceux de collège.

Efficace ?

« Être en charge de ces classes plurielles est un véritable crève-cœur, nous confie Albert, professeur dans un collège du Val-d’Oise. Même avec toute la bonne volonté du monde et en prenant en compte les injonctions de l’Éducation nationale pour que nous ’différencions’ nos cours, ces élèves décrochent rapidement. Nous ne pouvons faire le travail de plusieurs professeurs et encore moins remplacer nos collègues spécialisés habituellement en charge des Segpa ». Des professeurs titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI), à la différence des enseignants classiques.

Disparition à moyen terme ?

A en croire les remontées des syndicats, ces « classes inclusives » gagneraient du terrain partout en France. A la pointe de cette période de transition : le département de la Moselle, où la majorité des classes de Segpa ont déjà été converties.

Tandis que dans l’académie de Lille (Nord), après avoir expérimenté ce dispositif pendant quatre ans, la quasi-totalité des établissements sont revenus au fonctionnement antérieur « dès que les moyens ont été rendus pour cela », nous indique-t-on. Mais en ces temps de disette budgétaire, les syndicats s’inquiètent de la transformation définitive, à moyen terme, de ces « sections » en simple « dispositifs annexes ». « Ce serait mettre en place un accompagnement factice. Si l’étiquette demeure, ce serait malgré tout sans aucun moyen. Et ce, plutôt que d’essayer d’apporter un enseignement adapté à des élèves qui en ont besoin ».

« Cette inclusion ressemble surtout à une dispersion »

Des craintes qui, à la lecture du rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale sur le « bilan des Segpa » publié au mois de juillet 2018, paraissent justifiées.

Les auteurs de ce rapport « recommandent » au ministre de « concentrer les efforts sur la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, sur le pilotage des IEN (inspecteurs de l’Education nationale, ndlr) premier degré en maternelle, sur le dispositif ’plus de maîtres que de classes’, sur les RASED (Réseau d’aides spécialisées aux élèves d’écoles maternelles et élémentaires en difficulté, ndlr) et l’éducation prioritaire ».

Quitte à sacrifier toute une génération d’élèves sortis du premier degré sans maîtriser les savoir de base ? Si cet avis le laisse présager, rien ne le confirme officiellement. Et Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, ne s’est jamais exprimé à ce propos. « Nous lui avons demandé plusieurs audiences pour aborder ce sujet, assure Frédérique Rolet, présidente du SNES-FSU. Nous sommes toujours en attente d’un signe, d’un geste rassurant. Au lieu de cela, c’est silence radio ! ».

Les élèves en difficulté au collège seront-ils donc condamnés à errer dans des classes ordinaires jusqu’à leur sortie du système scolaire sans diplôme et sans qualification ? « Ce qui pose problème, ce sont les termes de cette ’inclusion’. Si elle se fait dans des classes moins chargées et portée par des équipes de professeurs spécialisés et mobilisés en nombre, pourquoi pas. Mais aujourd’hui, cette inclusion ressemble surtout à une dispersion ».

Des résultats probants en terme de poursuite d’étude

Les classes de Segpa ont pourtant fait leurs preuves. Si les élèves qui l’intègrent en sixième ont généralement un niveau « équivalent à celui du CE2/CM1, voire parfois de CE1 », ceux-ci retrouvent ensuite en masse le goût des études. A force d’enseignements adaptés, d’ateliers et de stages professionnels, ils sont 80% à poursuivre leur route au lycée professionnel à l’issue de la classe de troisième, selon une étude de la Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance (Depp), organe rattaché au ministère de l’Education nationale, publiée en 2017. Et parmi ces élèves qui sont « majoritairement issus d’un milieu défavorisé », quatre sur dix finissent par obtenir un diplôme (baccalauréat professionnel ou CAP) alors que rien ne les prédestinait à cela quelques années auparavant.

« C’est en raison de ces résultats que nous sommes dubitatifs lorsque l’on nous demande d’inclure davantage ces élèves dans les voies ordinaires. On nous dit que les maintenir en section Segpa, à l’écart des autres élèves, serait discriminant, qu’il faut davantage les socialiser… Mais ce qui est véritablement destructeur et désocialisant, c’est de les laisser se noyer dans leurs difficultés par dogmatisme ».

« Dans ces conditions, la classe explose et elle n’est plus tenable »

D’autant que cette obsession de l’inclusivité trouble tous les élèves, qu’ils aient des difficultés avant l’entrée en sixième ou pas. "Dans ces classes inclusives, les professeurs n’ont d’autre choix que de se mettre à la ’pédagogie garçon de café’, paraphrasant le pédagogue Philippe Meyrieu. Il doit décomposer son programme, découper ses enseignants en fonction des différents profils, servir chaque enfant individuellement, bref : se décupler. Et ce sont tous les enfants qui sont perdants.

Pendant que l’on reprend les cours de grammaire de CE1 pour certains, on perd les autres, quand on revient au programme du collège, on met les autres de côté. Dans ces conditions, la classe explose". Obligeant le professeur à endosser une autre casquette, celle de gendarme.

Pour les enseignants interrogés, cette situation est intenable. D’autant qu’aux élèves de Segpa, s’ajoutent de nombreux élèves présentant divers troubles des fonctions cognitives ou mentales, de plus en plus présents dans les classes ordinaires faute de places en unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) ou en institut médico-éducatif. Là aussi, c’est aux professeurs de s’adapter. Qu’importe s’ils ne sont pas formés pour cela, c’est à eux de supporter le poids des oubliés du système scolaire.