Quand J.M. Blanquer prend pour modèle l’enseignement privé sous contrat : une fausse bonne idée ?

dimanche 5 novembre 2017


« La pression qui pèse sur l’enseignement privé doit être vécue par le secteur public comme une ardente obligation d’évoluer »(1).

En arrière toute et surtout à rebours de la précédente occupante du MEN, J.M. Blanquer aime à se présenter en farouche opposant de l’ « égalitarisme », n’hésitant pas à désigner ce dernier, dès juillet dernier(2) comme « le vrai ennemi du service public ».
Ainsi à longueur de publications, l’ancien directeur de l’Essec, devenu ministre depuis, ne cesse de le dire, de l’écrire et surtout de l’assumer, l’enseignement privé sous contrat constitue véritablement un de ses modèles favoris.

Blanquer, l’anti-pédagogiste.

Les pédagogistes ou constructivistes qui s’inscrivent dans la ligne « égalitariste » ont souvent été privilégié-es rue de Grenelle. Ils/elles ont été à l’origine de la réforme du collège menée par Najat Vallaud Belkacem. En supprimant les classes bilangues et européennes, ainsi qu’en restreignant l’accès au latin et au grec, leur objectif était de réduire les inégalités scolaires et sociales en évitant que les élèves les plus favorisés ne se regroupent dans des classes spécifiques.

Selon J.M. Blanquer, tenant d’une approche plus républicaine et plus conservatrice, ce type de mesures n’aboutit qu’à une baisse du niveau général ; en somme, chercher ainsi à mettre tout le monde à un faible niveau ne permet de masquer qu’une incapacité à faire progresser les élèves défavorisés.
Opposé à cette vision, l’actuel ministre défend, au contraire, une vision de l’éducation plus traditionnelle, basée sur la transmission des connaissances et la promotion de l’excellence. Loin des modèles nordiques qui établissent une relation de confiance entre l’enseignant-e et l’élève(3), le ministre évoque « la nécessaire autorité du maître sur l’élève »(1), usant ainsi d’un vocabulaire volontairement démodé qui plait forcément à la frange la plus réactionnaire de la population.
L’école doit à la fois éduquer et instruire à la manière de ce qu’ont toujours rigoureusement proposé les congrégations religieuses, dans la discipline.

Cette vision passéiste de l’enseignement privé sous contrat est-elle une réalité ou tient-elle du fantasme idéalisé ?

L’image d’Épinal de l’enseignement privé majoritairement confessionnal (catholique a plus de ?%) a vécu, rares sont les établissements dirigés par de sévères pères, frères et sœurs de congrégations religieuses. La plupart des établissements sont sous tutelle ou dépendent d’une direction diocésaine.

La qualité de l’enseignement est-elle meilleure dans les établissements privés ? Ou d’autres facteurs entrent-ils en jeu ?

Même si en France n’ont pas été publiées les données concernant, par établissement, les résultats des performances des élèves de 15 ans ce qui est bien dommage il est fort à parier, à l’instar des résultats publiés par d’autres pays de l’OCDE(4), de la lecture classique suivante : la scolarisation dans le privé garantit de bien meilleures performances dans la plupart des pays. Mais la réalité est bien plus complexe. En fait, les établissements privés sous contrat ont davantage d’élèves provenant de milieux favorisés que les établissements publics dans 21 des 29 pays avec des données. Quand on sait que le milieu socio-économique des parents est un des facteurs les plus importants pour expliquer les performances des élèves, on comprend mieux. En effet, les établissements privés sous contrat en attirant des élèves favorisés sont également plus susceptibles d’attirer des élèves plus performants et d’avoir de meilleurs résultats.

De plus, dans les régions et académies où le pourcentage d’élèves qui fréquentent les établissements privé est très largement supérieur à la moyenne nationale (40-50% contre 20% en moyenne, cas de la Bretagne, de la Vendée et des Pays de la Loire), il est difficile poser le même constat. Beaucoup des établissements de ces académies présentent le même type de recrutements d’élèves que dans les établissements publics. La grille de lecture des résultats pourra davantage s’envisager en fonction des locations géographiques de ces établissements : en centre-ville, en périphérie ou en campagne.

Blanquer, le pragmatique.

Le maître mot dans la bouche du ministre de l’éducation, c’est l’Autonomie. Particulièrement lorsque celle-ci est au service du chef d’établissement. Déjà initiée dans la précédente réforme, celle du collège portée par Najat V. Belkacem, J.M. Blanquer souhaite l’étendre encore et toujours plus en permettant aux proviseur-es c’est-à-dire aux directeurs et directrices de recruter eux-mêmes, elles-mêmes leurs collaborateurs et collaboratrices enfin leurs professeur-es . À lire le ministre, cette autonomie devrait s’imaginer à la manière de ce qui se passe déjà dans les établissements français à l’étranger. Pour J.M. Blanquer ceux-ci, dont la renommée n’est plus à promouvoir, doivent aussi servir de modèle : les professeur-es qui y enseignent sont choisi-es par les proviseurs-es, véritables chefs d’entreprise. Pourtant la recette qui fait leur succès s’explique là encore de la même manière : « on ne prête qu’aux riches » !

Dans ce même registre, la relative souplesse des directeurs et directrices en matière de recrutement apparaît pertinente rue de Grenelle. Mais si les commissions académiques voire départementales de l’emploi, véritables « marchés aux profs » où certain-es directeurs et directrices du privé sous contrat viennent littéralement « faire leur course », à la vue et au su des syndicats-maison, les décisions prises à l’occasion de ces commissions peuvent être remises en cause au niveau du rectorat, lors des CCMA (Commissions Consultatives Mixtes Académique). Ces commissions cathos ou CAE ont parfois fait l’object d’abus de la part de directrices et directeurs peu scrupuleuses et scrupuleuses faisant preuve d’un jeu de favoritisme illégal.

À ce sujet, au Sundep-Solidaires, nous ne cessons de rappeler les règles de priorité, d’ailleurs en conformité avec celles produites dans l’enseignement public et qui doivent réglementer les mutations des professeur-es de l’enseignement privé sous contrat.
Autre signe extérieur de pragmatisme assumé, celui posé par le concept de « contrat d’établissement » (3) qui permet à chaque directeur, chaque directrice de fixer une politique générale sur plusieurs années en association avec les professeur-es qui enseignent dans leur établissement. Ainsi en s’entourant d’enseignant-es totalement inféodé-es à leur direction, les chefs d’établissement s’assurent une gouvernance en toute quiétude en évitant un nécessaire pluralisme.

Alors l’enseignement privé sous contrat, un modèle à suivre ?

Pourtant son « patron », Pascal Balmand a lui-même haussé le ton en début du mois d’octobre, en déplorant justement des soucis d’équité en privé et public ! Le modèle aurait-il des failles ?

(1) L’Ecole de demain, J.M. Blanquer, Édition Odile Jacob, 2016.
(2) Lors d’un entretien au journal du dimanche de juillet 2017.
(3) Du fait d’un taux d’encadrement plus élevé qu’en France.
(4) http://educationdechiffree.blog.lemonde.fr/2013/05/30/la-qualite-de-lenseignement-est-elle-meilleure-dans-les-ecoles-privees/