Ecole maternelle : « La situation ne cesse d’empirer »

mardi 12 avril 2011


Le site « NousVousIls » consacré à l’Education, a interrogé Lucile Barberis (AGEEM).

"Depuis que Xavier Darcos s’est demandé si un mas­ter était indis­pen­sable pour chan­ger des couches [1], le rôle de l’école mater­nelle est au cœur de nom­breux débats. Scolarisation dès l’âge de deux ans, ensei­gne­ment des langues vivantes, ini­tia­tion à la phi­lo­so­phie... Lucile Barberis, pré­si­dente de l’Association géné­rale des ensei­gnants des écoles et classes mater­nelles publiques (Ageem) fait le point avec nous.

"Depuis trois ans, et la fameuse phrase de Xavier Darcos sur la sco­la­ri­sa­tion des tout-petits, com­ment la situa­tion a-t-elle évolué ?

Elle est encore pire aujourd’hui. A l’époque, nous avons refusé d’entrer dans la polé­mique et pré­féré répondre sur le fond. Nous avons donc publié et dis­tri­bué un guide péda­go­gique à l’usage des parents, tou­jours dis­po­nible, qui explique ce que l’on fait à l’école mater­nelle. Le minis­tère l’a ensuite pris à son compte, et a apposé son logo sur le résul­tat de notre tra­vail. Mais il n’y a, pour nous, qu’une façade de pro­grès, qui ne cor­res­pond à rien de réel.

Vous décri­vez égale­ment des situa­tions très dif­fé­rentes selon les lieux...

Avant le départ de Xavier Darcos, le minis­tère a par exemple jugé bon de créer envi­ron 80 postes d’inspecteurs à mis­sion mater­nelle. Le fonc­tion­ne­ment de ces postes, la qua­lité et la valo­ri­sa­tion du tra­vail effec­tué en mater­nelle, sont inti­me­ment liés à la per­son­na­lité de l’inspecteur qui y a été nommé. Il y a des endroits où cela marche très bien, où les ins­pec­teurs sont très enga­gés et défendent même la sco­la­ri­sa­tion à deux ans. Il y en a d’autres où l’on attend pas­si­ve­ment que la retraite arrive.

Rien n’a donc changé avec l’arrivée de Luc Chatel ?

La situa­tion de l’école mater­nelle en France dépend à la fois de la manière dont ces postes sont gérés sur le ter­rain et des annonces minis­té­rielles ! Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, il ne s’agit que d’un dis­cours public, qui ne trouve aucune tra­duc­tion dans les actions ; d’annonces de sur­face, sans moyens affec­tés pour les mettre en pra­tique. Dans la réa­lité, l’école mater­nelle est livrée à deux forces : l’une qui attire la grande sec­tion vers l’école élémen­taire, l’autre qui condui­rait les petites et les moyennes sec­tions vers d’autres struc­tures, hors Education natio­nale, comme les jar­dins d’enfants ou les jar­dins d’éveil. Ce n’est encore qu’une hypo­thèse, que nous émet­tons depuis plu­sieurs années, mais la ten­dance semble se confirmer.

A pro­pos des annonces minis­té­rielles, que vous ins­pire l’apprentissage de l’anglais en maternelle ?

L’anglais en mater­nelle, c’est un coup média­tique, qui ne sera suivi d’aucun moyen ni d’aucun effet ! Il y a long­temps que l’on fait de l’anglais dans les écoles mater­nelles. Quand j’ai débuté ma car­rière dans les années 70, on en fai­sait déjà. On ne peut pas s’élever contre ce qui peut être une pers­pec­tive cultu­relle et éduca­tive inté­res­sante, mais quand le minis­tère la met en lien avec l’annonce majeure et réité­rée de la lutte contre l’illettrisme, je ne vois pas très bien com­ment tout faire simul­ta­né­ment : déve­lop­per la maî­trise de la langue orale et l’accès à la langue écrite en fran­çais et, en même temps, faire de l’anglais. On sait en effet qu’il faut com­men­cer par maî­tri­ser une langue, quelle qu’elle soit, pour pou­voir accé­der à une ou plu­sieurs autres.

Et la philosophie ?

Là encore, c’est plus un effet d’annonce qu’une pra­tique inno­vante ! Nous évoquions déjà les ate­liers de philo lors de notre congrès natio­nal, à Martigues, en 2004. A l’école mater­nelle, nous tra­vaillons depuis long­temps sur le lan­gage, les situa­tions, les sup­ports et les moments de lan­gage. Pourquoi n’aborderions-nous donc pas des sujets à conno­ta­tion phi­lo­so­phique, comme la liberté ou l’égalité ? Pour nous, toutes ces décla­ra­tions consti­tuent sur­tout des manœuvres déri­va­tives, qui évitent d’aller à l’essentiel. Dans l’histoire de l’école mater­nelle, on sco­la­rise les enfants de 2 à 6 ans depuis 1864. Et on le fait parce que c’est essen­tiel. Si l’on n’effectue pas tout ce tra­vail avec les plus jeunes, l’école, au lieu d’aplanir les dif­fé­rences, va les ren­for­cer. Que l’on cesse donc de nous par­ler de pré-scolarisation, ou de consi­dé­rer l’école mater­nelle comme un gadget !

Patrick Lallemant


Voir en ligne : Source : NousVousIls


[1En novembre 2008, Xavier Darcos s’était prononcé en faveur de structures spécifiques à l’accueil des 2-3 ans, se demandant si pour une « bonne utilisation des crédits de l’État », il était indispensable de faire « passer des concours à bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants et de leur changer les couches ».