Evaluations CM2 : résultats transmis automatiquement au collège… via Base élèves et Affelnet 6e !

jeudi 20 janvier 2011


Depuis leur apparition en 2009, les évaluations nationales de CM2 et CE1, imposées par le Ministère à coup de primes aux enseignants ou au contraire de sanctions pour les récalcitrants, ont réuni la quasi totalité de la communauté éducative contre elles (cette année comme les précédentes).

Elles ont déchaîné les critiques parce qu’elles ont été regardées, naïvement peut-être, avec une perspective pédagogique. On les a trouvées mal faites, mal placées dans l’année, absurdes, incohérentes … Mais si on les considère avec la perspective du fichage des compétences qui doit marquer chaque enfant à vie, ces absurdités prennent brutalement une cohérence redoutable.

De nombreux parents et enseignants seront peut être surpris d’apprendre que les résultats des évaluations nationales CM2, annoncés haut et fort comme parfaitement anonymés avant transmission, sont transmis au collège d’accueil des élèves, inscrits définitivement dans le livret scolaire électronique de l’enfant, et ce conformément à la circulaire n° 2008-155 du 24-11-2008 relative à la mise en œuvre du livret scolaire à l’école :

« À la fin de l’école élémentaire, le livret scolaire est remis aux parents. Les éléments relatifs à la maîtrise des connaissances et des compétences en CM2, les résultats aux évaluations nationales en CM2 [...] sont transmis au collège d’accueil de l’élève. »

Cela est en totale contradiction avec la présentation du dispositif des évaluations nationales CE1 et CM2 publiée sur le site officiel du ministère de l’Éducation nationale qui affirme :

« Les résultats de chaque élève sont communiqués à ses parents par le maître de la classe ou le directeur de l’école. Ils peuvent ainsi mieux suivre les progrès de leur enfant. Ils sont les seuls, avec les maîtres, à connaître les résultats individuels de leur enfant. »

De plus, il est probable que les résultats des évaluations CM2 seront bientôt utilisés (si ce n’est déjà le cas dans certains départements) pour orienter et affecter automatiquement les élèves au collège en utilisant l’application « Affelnet 6e ».

Peu de parents et d’enseignants connaissent « Affelnet 6e ».
Cette procédure est pourtant déjà depuis l’année dernière, en cours d’expérimentation dans 8 départements (7 académies pilotes – source officielle) :

95 – Val d’Oise (Versailles) / 41 – Loir et Cher (Orléans-Tours) / 61 – Orne (Caen) / 16 – Charente (Poitiers) / 17 – Charente Maritime (Poitiers) / 35 – Ile et Vilaine (Rennes) / 59 – Nord (Lille) / 94 – Val de Marne (Créteil).

C’est une procédure entièrement automatisée, qui permet de traiter simultanément l’affectation de l’ensemble des élèves d’une même académie grâce à un système de classement des élèves — d’où l’intérêt évident d’utiliser les évaluations nationales CM2 pour classer les élèves et traiter leur dossier en fonction de ce classement.

Au cours de la procédure, les dossiers des élèves sont dématérialisés (c’est à dire, numérisés), traités automatiquement avec l’application Affelnet 6e via Base élèves (BE1D) et transférés automatiquement dans Sconet (l’équivalent de Base élèves pour le second degré). Les dossiers des élèves issus de la base BE1D sont intégrés dans l’application Affelnet 6e par les inspecteurs d’académie. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le ministère, les résultats des évaluations CM2 remontent donc nécessairement nominativement au moins au niveau académique. Ce sont par ailleurs également les inspecteurs d’académie qui sont chargés de paramétrer l’application Affelnet 6e . Enfin, les collèges publics des départements concernés importent les dossiers de leurs élèves entrant en 6e via Sconet.

Alors que le Conseil d’État a jugé illégales les mises en relation de BE1D avec d’autres fichiers, le ministère s’est contenté d’envoyer une simple modification de Base Élèves à la CNIL en octobre 2010 pour y ajouter les applications suivantes :

  • BNIE (base nationale des identifiants)
  • les fichiers des mairies
  • Affelnet 6e

Ceci ne fait que démontrer, une fois de plus, le caractère évolutif et les multiples utilisations possibles de Base élèves que s’autorise l’État . Dorénavant, par le biais de sa mise en relation avec l’application nationale Affelnet 6e , ce dispositif permettra d’orienter et d’affecter automatiquement tous les élèves quittant l’école pour le collège, et ce, sans que les enseignants et les parents aient leur moindre mot à dire… suivant une procédure que le ministère déclarera juste et équitable, puisque « ce sera la machine qui décidera » et que « tout le monde sera traité de la même manière » !

Parents, on vous dira qu’il ne s’agit évidemment pas de cataloguer votre enfant dès son arrivée au collège, mais que cet outil est indispensable pour lui apporter le plus rapidement possible les aides personnalisées nécessaires pour qu’il acquière au minimum le socle commun… Ou comment donner une caution faussement pédagogique à une entreprise de fichage des données personnelles d’une ampleur jusqu’à présent inégalée.

L’élite, repérée depuis la maternelle, fera l’objet d’un suivi particulier qui lui permettra d’intégrer les établissements d’excellence, et plus tard, de suivre des études supérieures… à condition d’en avoir les moyens bien sûr !

Enfin, n’oublions pas qu’un super fichier, le « livret scolaire électronique » contiendra le fichier appelé trompeusement « livret personnel de compétences » (LPC) qui sera alimenté par les évaluations. Il servira à l’orientation du jeune puis le suivra, dans sa totalité ou en partie, tout au long de sa vie, alimentant un super CV électronique. Ainsi, alors que le livret scolaire et le CV étaient propriété de la personne, ils lui échapperont désormais. Plus aucun enfant ne pourra « perdre » son casier scolaire qui ne le quittera plus jamais ! Et ce, au mépris du droit à l’oubli !

Aujourd’hui, les parents et les enseignants mais aussi de nombreux inspecteurs, dénoncent la date des évaluations en janvier sur des notions non apprises… Le calendrier de la procédure « Affelnet 6e » explique de manière simple pourquoi les évaluations CM2 ont lieu à cette période de l’année, les résultats devant être disponibles suffisamment tôt pour pouvoir être pris en compte dans la procédure (*).

Fortement contesté par les parents et les enseignants, le codage vrai-faux (1-0) ne reflète absolument pas le niveau des enfants… mais ce codage binaire permet de numériser et d’intégrer facilement les résultats des élèves dans une application numérique nationale. Le Livret Personnel de Compétences obéit à la même logique.

Ainsi, voulant à la fois gérer des traitements de données personnelles pour tracer les jeunes et des systèmes automatiques pour « piloter » l’éducation, l’État en vient à produire des systèmes absurdes qui vont à l’encontre de toutes les connaissances sur les apprentissages et sur l’enfant. On sait que l’idéologie du moment est le retour en force du déterminisme, avec ses attributs classifications et prédictions, et l’abandon des principes mêmes de l’école publique par la création d’écoles d’excellence et une orientation précoce. Ces évaluations permettent de faire ce tri : les enfants en difficulté et les enfants « excellents ». Les parents et les enseignants, sans même avoir conscience des fichages qui se mettaient en place, ont su en révéler l’absurdité.

Le CNRBE


Voir en ligne : Collectif national de résistance à Base élèves